Notre rue, fumée, clôtures, caniveaux putrides gorgés
d’herbes folles, sillons torrides des tôles
corrodées par la rouille, c’est un langage forgé
d’asphalte en feu, un ciel qui se déplace, mû
par les cumulus d’orage grondants de pluie…
Derek Walcott, Le Chien de Tiepolo, livre 1 (II), 1.
Dix ans plus tard, je suis venu chercher
des signes de la guerre d’alors.
J’imaginais des vestiges –
chargeurs en miettes,
obus entiers,
éclats
trahissant l’explosion, ses blessures.
Je venais chercher
des fantômes –
gens du passé, squelettes carbonisés,
brique, bois et ciment :
leurs logis de jadis, livrés
à l’abandon.
Je n’ai trouvé que des murmures –
murmures au fond de la clameur
d’un petit avant-poste urbain
plongé
dans la fièvre du jour,
où les gestes du quotidien
tracent les signes extérieurs
de la normalité et de la vie.
Dans ce tumulte
des bribes de la guerre ancienne –
les grandes lignes du récit,
on les garde enfouies, emballées
dans du vieux journal.
Un ordre existe au milieu du malaise –
l’appel du muezzin,
la psalmodie du moine –
barytons
fusionnant
dans l’exclusion mutuelle.
À la gare routière
la toux noire des pots d’échappement
fait écran à tout.
Les routes se croisent
et passé le rituel du carrefour
divergent,
patinant le long des lignes
de contrôle
que rien ne signale.
Une guirlande poreuse
de perles fêlées
orne Tiger Hill.
Par-delà les sommets
vont d’obscurs souvenirs.
Au-delà,
personne ne sait,
au-delà,
personne ne veut savoir.
Même la nuée d’oiseaux
qui survolent leurs crêtes
ne savent quelles plumes tomber.
Caméléons, ils voguent,
et esquissent dans l’air
de parfaites paraboles.
Je lève les yeux,
je cherche à calculer leur arc,
mais je ne mets au jour
qu’un théorème
boiteux.
© Dominique Vitalyos (traduit de l'anglais)